Par Maëlle Joulin. Article mis à jour le 7 avril 2022
Au delà de notre imaginaire de petit potager de ferme
Bienvenue dans le monde étrange de l’hydroponie !
Quoi de moins naturel que ces rangées de tomates ou de concombres, les pieds dans de la laine de roche, au cœur d’une serre ambiance hôpital…bienvenue dans le monde étrange de l’hydroponie intensive. Un monde étrange où la rentabilité se fait autant sur la revente des tomates que la revente de l’électricité issue des énormes générateurs qui chauffent les serres.
A l’origine plutôt anti-hydroponie, depuis 5 ans, des rencontres avec des acteurs qui font les choses autrement ont changé mon regard sur ces systèmes.
« Il faut assumer le fait que nous sommes dans l’anthropocène », me dit un jour Pascal Hardy d’Agripolis, start-up en plein envol qui installe sur les toits des tours verticales hydroponiques. Opposer une agriculture « naturelle » et une agriculture « non naturelle » n’a pas beaucoup de sens, car le principe même de l’agriculture est de domestiquer les plantes pour les cultiver. Un champ, même bio, n’a rien de « naturel », nos forêts, nos cours d’eau… sont totalement domestiqués. L’homme a totalement changé notre monde. L’enjeu n’est donc pas de se conformer à une vision plus ou moins poétique de notre alimentation, mais de trouver le bon rapport entre la qualité nutritionnelle, le goût, le coût de production, et un impact le plus réduit possible pour les écosystèmes.
Avec l’hydroponie, les légumes ont le goûte de flotte !
« C’est de la meeeeeerde » nous apprenait Jean Pierre Coffe avant qu’il trouve ça pas si mal. Si des légumes poussent les pieds dans l’eau, ils n’ont pas de goût (c’est bien connu, le cresson, c’est fade !).
…mais au fait, qu’est ce qui fait le goût d’un légume ?
1 – La variété que vous mettez en culture
Une tomate long-life est infecte, car elle est sélectionnée pour être très ferme. Or, ce qui est bon dans une tomate, c’est au contraire la pulpe, mais cette dernière est fragile. En pleine terre bio mûrie à point, une long-life pas bonne… reste une long life pas bonne. Si on est déçu par le goût des crypto cœur de bœuf de supermarché, c’est parce que ce sont des hybrides. Elles ont la tête de la cœur de bœuf, mais elles sont hybridées avec des tomates résistantes ! y’a un peu plus de pulpe, mais toujours pas assez pour avoir du goût. Un indice : les bonnes variétés de tomates se conservent souvent mal, et se pèlent facilement. Elles doivent donc être produites localement. Vive les rustiques !
2 – L’environnement de culture
L’environnement de culture détermine la vitesse de croissance. Quand un légume est soumis à du stress (ravageur, froid), il génère des protections, c’est-à-dire des antioxydants, polyphénols, tanins, etc. En bref, tout ce qui donne de la couleur, de la texture et les qualités nutritionnelles. Ajoutez à cela un bon coup de soleil pour créer du sucre, et vous aurez du goût ! Le problème c’est que le stress les rend souvent moins beaux, et que ça ralenti leur croissance. Pour accélérer la croissance et limiter le stress, on modifie l’environnement. Soit de manière chimique, pour supprimer les ravageurs, soit de manière mécanique avec des filets, des bâches ou des serres. Donc selon la saison, les légumes produits de la même manière peuvent avoir des caractéristiques différentes. S’ils poussent trop vite, ils sont plein d’eau. Inversement, si ils poussent trop lentement, il faut les protéger chimiquement ou risquer des pertes. L’ équilibre est donc délicat.
3 – La ferti-irrigation
En n°3, c’est la ferti-irrigation, c’est-à-dire comment la plante est arrosée et comment elle est nourrie. Et là, on se dit de suite qu’une plante nourrie en pleine terre, va pouvoir avoir une alimentation plus complexe, qui va lui permettre d’être plus savoureuse. C’est vrai, à deux détails prêts : du fait des produits chimiques, dans nos champs, il y a de moins en moins de vie, donc de moins en moins de complexité. Nos plantes se nourrissent presque exclusivement des minéraux qu’on leur donne. J’ai visité des plantations « pleine terre » où le sol n’est que du sable, régulièrement stérilisé pour limiter les maladies !
Deuxième « détail », appris auprès Marion et Nicolas des Sourciers, c’est qu’on peut donner de la bonne nourriture en hydroponie. En hydroponie en France, les exploitants cherchent des minéraux à bas coût, leur production ne peut pas avoir de goût. C’est comme si on te nourrissait qu’avec du sucre, de la farine, de l’huile et des œufs. Tu survis mais tu n’es pas en forme ! On peut, avec la bioponie (minéraux d’origines organique), et en sélectionnant attentivement une large palette de minéraux et d’oligo-éléments, fournir une alimentation diversifiée et équilibrée pour les plantes. » ça marche tellement bien qu’ils forment de nombreux exploitants à ces pratiques dont des acteurs de …l’aquaponie.
Observons désormais la durabilité des pratiques
ans prétendre avoir fait d’Analyse de Cycle de Vie, on peut noter que:
– L’hydroponie est plus productive au m2 ; en serre, elle permet de considérablement rallonger les temps de culture. Cele conduit donc à moins d’importations en début et fin de saison, et plus de confort de travail (en hauteur, moins froid,…).
– Avec l’hydroponie ça pousse aussi plus vite, 20 à 40% selon les techniques et les variétés.
– On peut plus facilement utiliser les insectes et de la lutte biologique. Et oui, le lieu dans lequel nous nous trouvons est plus confiné. En pleine terre, conventionnel ou bio, on utilise beaucoup les bâches plastiques pour protéger les plantes.
– En pleine terre, seuls 20% des engrais minéraux sont absorbés par les plantes, 80% sont lessivés, et se retrouvent dans nos rivières et nos nappes phréatiques. En hydroponie moderne, l’eau et les fertilisants sont en circuits fermés : 0 rejet.
J’en viens donc à me dire que l’hydroponie en mode « Les Sourciers » est nettement plus désirable que de la pleine terre artificialisée par la chimie, et même sans doute que de la bio sous bâche plastique.
Alors, l’hydroponie, la panacée ?
Bien sûr que non, produite dans un lieu artificialisé, elle ne joue qu’un rôle marginal dans le soutien à la biodiversité. L’ hydroponie ne permet en outre pas de tout produire. Elle me parait, en tous cas pour la production des légumes feuilles et des légumes fruits, une bonne solution si elle permet de réduire nos importations. En ville, le hors sol prend tout son sens, en ce qu’elle permet de cultiver partout, y compris sur les sols…pollués.
La panacée on la connait, ce sont les modèles productifs dérivés de la permaculture. Très peu dépendants du pétrole, très résilients, avec 0 externalité négative et un impact très positif sur la biodiversité, ils ont un potentiel formidable. Ils ont le gros défaut d’être longs et complexes à mettre en œuvre, si leur diffusion est très souhaitable, il faudra du temps avant de pouvoir la déployer avec succès à grande échelle.
Faire coexister une petite hydroponie qualitative avec un maraîchage en permaculture, une bonne piste pour nos fermes urbaines ?